Puis je tombe sur Jean-Claude Ameisen, sa voix d’une douceur puissante, qui reprend les pierres et les bouts de chair tombés, desséchés, leur donne une unité, un sens, les rattache encore et encore au cosmos. Il entraîne dans son sillage Eluard, Kundera, Proust et Bill Clinton. Il parle de mitochondries et d’ALMA, de Pinochet et de saudade. Il déclame des articles du Monde comme il ferait d’un poème, sur fond de Sakamoto Ryuichi et de BO du film franco-chilien.
Il lit :
Le retour, en grec, se dit nostos. Algos signifie souffrance. La nostalgie est la souffrance causée par le désir inassouvi de retourner. […]
Añoranza, disent les Espagnols ; saudade, disent les Portugais. […] Les Tchèques, à côté du mot nostalgie pris du grec, ont pour cette notion leur propre substantif, stesk, et leur propre verbe ; la phrase d’amour tchèque la plus émouvante : Stýská se mi po tobě : j’ai la nostalgie de toi ; je ne peux supporter la douleur de ton absence. En espagnol, añoranza vient du verbe añorar (avoir de la nostalgie) qui vient du catalan enyorar, dérivé, lui, du mot latin ignorare (ignorer). […] La nostalgie apparaît comme la souffrance de l’ignorance. Tu es loin, et je ne sais pas ce que tu deviens. »
Enchaînement d’entretiens langoureux, au cœur palpitant et professionnel. Les gens, leur sensibilité exacerbée, leurs histoires, leurs colères, leurs maladresses, leur neuro-atypicité – leur besoin d’être et d’exister.
Curieusement dans cette grande salade le maillage se tient, la passoire laisse couler l’eau sale et retient le grain. Aux nouveaux entrants du laboratoire, je tartine des mièvreries à coups de « It’s a difficult world. It’s a difficult context. Now more than ever is it important that science institutes be a place of thoughtfulness, collaboration, sharing. » comme si j’avais fait un medley IA de Cat Stevens, John Keats et d’un ancien président américain.
Mais la vérité, c’est que j’y crois profondément. À ma science fondamentale comme dernier rempart de la diplomatie, à la gentillesse désintéressée des intérêts spécifiques autistiques, à cette polyphonie familiale nourrie à la reconnaissance seule, disjointe des profits financiers, et donc un peu disjointe de la réalité.
Je crois profondément à la qualité et l’utilité de chacun dans cette grande salade de goûts. Je crois aux mathématiques qui gouvernent les interactions, je crois au pragmatisme américain, à l’introspection française, je crois à la temporisation, à l’immédiateté, je crois, toujours, qu’il est possible de douter ou de ne pas douter, je crois aux choix et aux évidences.
J’essaie de transmettre ces notions à une table ronde Fulbright franco-américaine, quand on me demande « En tant que femme, percevez-vous votre façon de leader différente de celle des hommes ? » Et l’une des personnalités de la salle m’alpague à la fin « We all can’t get over how amazing you are. »
Je m’esclaffe et songe – comme vous me manquez, parfois, les américains, avec vos enthousiasmes débordants et vos validations, à la limite du dégoulinant mais sans hypocrisie aucune.
Je m’esclaffe : rien d’amazing mes amis, voyez plutôt Andromeda. Et si vous saviez comme je me trompe beaucoup, souvent. Mais je ne suis pas seule, ni pour me tromper, ni pour moins me tromper, et c’est la finesse solide de ce maillage qui me retient, qui nous retient, qui est si intéressante, si surprenante.
Son : la grande chanson du paternalisme, par Cat Stevens, Wild World, in Tea for the Tillerman, 1970.
J’ai chanté sa chanson à K., il a posé sa tête sur ma cuisse, maman tu as la peau douce, il dit distraitement ; c’est l’heure du coucher, dans la pénombre je suis assise sur le grand lit et je plie le tas de linge. Un haut rayé de K., un pyjama Star Wars de A., des chaussettes dinosaures, un pantalon pastel. La tristesse, elle remonte comme un motif, dans la pénombre, un pyjama velours, un caleçon à bande marine, un polo en maille piquée gris, en leitmotiv avec l’eau dans la pénombre, K. cherche les paires de chaussettes, c’est toi, dis-je, qui as la peau douce. Je pense : c’est bien, c’est toutes les larmes qui évacuent, tout ça passe et me traverse, les jeunes, les vieux, les pas jeunes et les pas vieux, moi j’applique les recettes et je sers de véhicule, je ne suis que les représentations et les validations, je suis ressource – mais je veux rester humaine. Je pense une nouvelle fois à ce qui s’est révélé à Chicago. Un T-shirt toucan fatigué, un caleçon à carreaux, un jeans, des chaussettes poissons. Tout est plié avec l’aide de K.
Son : Toujours Vanessa Wagner – et Wilhem Latchoumia. L’urgence et les motifs dans ce mouvement minimaliste de Philip Glass, Four Movements for Two Pianos: III., in This is America!, 2021.
Petite obsession pour la pianiste Vanessa Wagner. Ses anciennes estampes de Debussy. Dans l’album This is America! une interprétation pour deux pianos toute en intelligence et en retenue de West Side Story. Du Ravel chatoyant pour la route, et puis l’obsession à son comble avec les études complète de Glass, son dernier album. Glass, je disais à un ami cher que ça me semblait toujours sombre, déprimant. Dans cet album pourtant, des percées de lumière, des rayons d’une solidité fluide, un jeu d’ombre et de lumières. Vanessa. Wagner. Difficile de s’appeler de façon plus romanesque ; elle aurait pu être prédestinée à de longs et laborieux drames néo-médiévaux, à des atlas elliptiques aux ruines prenant l’eau et la brume. Pas vraiment ; chez elle, c’est surtout l’éclectisme : à tout embrasser depuis Haydn à la musique électronique. Dérangée probablement, végétalienne, défenseuse des animaux – au regard bleu perçant, au visage découpé et souligné de rouge. Lorsqu’elle joue, ont perd l’éclat des yeux pour l’arabesque douce des sourcils, l’onde des cheveux… aussitôt réfutées par ses mains. Des mains, des doigts dans un battement pur, la grâce dure puisée aux éléments – et cette bague d’or au cercle inscrit de runes.
Son : Vanessa Wagner interprète Philip Glass, Etude No. 1, in The Complete Piano Etudes, 2025.
Vidéo : Sur un vieux piano à New York. Vanessa Wagner interprète Etude No. 17, in Glass: The Complete Piano Etudes, 2025
Pour parler d’autre chose que de mon nombril et de chats : j’ai écouté le nouvel album de Taylor Swift.
Musicalement, c’est pire que d’habitude, avant même d’écouter une seule chanson, on les a déjà toutes entendues…1
J’avais été bluffée par l’album précédent, dont le titre – étonnant pour un tube de showgirl –, promettait ce qui m’intéresse dans la création : The Tortured Poets Department. Torturé, poétique : la promesse était tenue, infusant même dans la musique. On avait un album étonnant, sophistiqué, quasi indie, intimiste, comme des billets esquissés avec la juste distance pour dire les chemins tortueux de la vie et de l’esprit.
The Life of a Showgirl est un album pop, clair et lisse. La démarche pourtant est intéressante : « This album is about what was going on behind the scenes in my inner life during this [Eras] tour, which was so exuberant and electric and vibrant, » explique Taylor Swift, amoureuse et fiancée, dans une interview. J’aime l’idée que l’on compose un album au succès planétaire comme une suite de morceaux croqués d’une phase de sa vie.
Chez Taylor Swift, il y a toujours cet art du story-telling et une recherche poétique intelligente. Ce nouvel album n’y déroge pas complètement, mais je le trouve (trop) léger pour être réellement attachant/intéressant. Dans les grands journaux, les critiques interrogent : être amoureuse et heureuse n’est peut-être pas propice à la création qualitative ? J’avoue m’être fait la même réflexion.
Le bonheur, lorsqu’il est commun et implacable, demande un ciselage extrême pour le tailler aux facettes de l’art. La joie d’être mère, la joie simple d’être amoureuse et en couple, toutes les joies éculées s’aplatissent et aplatissent la création. Je me souviens de la lutte et de l’appauvrissement inéluctable des mots dans les débuts de mon couple avec P., et après la naissance de mes enfants.
L’art, disais-je à un ami cher, ce n’est intéressant que s’il y a des couches infinies sous celle effleurée, que si le lecteur, l’auditeur, le spectateur se retrouve sans crier gare attrapé, à l’intérieur même de l’œuvre, à la créer. Et pour insuffler des dimensions viscérales à une phase aussi éculée que celle de l’amour glamour et installé, il me semble qu’il fallait aller un peu plus loin que dans l’évidence de chansons pop entraînantes.
Son : en voici une malgré tout qui a un côté sale derrière le strass – et c’est ça qui est bon : Taylor Swift, Sabrina Carpenter, The Life of a Showgirl, in The Life of a Showgirl, 2025
Her name was Kitty Made her money being pretty and witty They gave her the keys to this city Then they said she didn’t do it legitly
I bought a ticket She’s dancing in her garters and fishnets Fifty in the cast, zero missteps Looking back, I guess it was kismet
I waited by the stage door, packed in with the autograph hounds Barking her name, then glowing like the end of a cigarette, wow, she came out I said, « You’re living my dream » Then she said to me
« Hey, thank you for the lovely bouquet You’re sweeter than a peach But you don’t know the life of a showgirl, babe And you’re never, ever gonna
Wait, the more you play, the more that you pay You’re softer than a kitten, so You don’t know the life of a showgirl, babe And you’re never gonna wanna »
Universidad Laboral de Gijón : immense palais à l’extérieur de la ville, construit dans les années 1940 sur les lignes de la Cité hellénique idéale et d’un palais royal espagnol, constellé de symboles franquistes. On y largue A. devant un piano, je lui dis au revoir et clos la porte d’une salle à sa disposition pour pratiquer, plusieurs heures par jour. « Si jamais tu n’as rien à faire et que tu t’ennuies entre les cours et les masterclass… » avais-je entamé, et lui de me couper avec évidence, prenant sur lui malgré sa petite anxiété « bah si je n’ai rien à faire, je jouerai du piano. »
Entre les colonnades parthéniennes, on descend quelques marches derrière un rideau de velours rouge et pénètre dans un café quasi-hipster, qui passe du blues avec vue surplombante sur les montagnes vertes asturiennes. Les lieux, leur enchaînement et les séquences sont insolites, du Alice au Pays des merveilles et du surréalisme combinés (mais serait-ce la même chose ?).
Ensuite, Villaviciosa, ville grise dans un ciel bas, sombre, mais qui ne tombe pas. Des azabache polis montés sur des boucles d’argent, éclats d’arbres du jurassique fossilisés. Le café d’antan où l’on mange des croquetas à tomber – béchamel cuite avec les ingrédients de fabadas m’explique la serveuse. Je lis Anaïs Nin à voix haute à P. (et K. qui écoute distraitement en boulottant sa tortilla), sur ses réflexions sur son intensité à vivre. [Hier A. s’était assis à côté de moi : « je vais lire avec toi » – euh non, je crois pas… C’était la page sur les putains de Henry Miller.] Il faut que j’écrive sur elle, ça m’agite et me crispe presque, de ne pas avoir/prendre de temps dans la journée pour la lire, et écrire, écrire tout cela.
Autoroutes et routes entre les montagnes jusqu’à Lastres qui cascade vers la mer dans un parfum entêtant d’eucalyptus. Toujours quelque chose de cubiste dans l’Espagne, de sale, de dur, de dictatorial, d’industriel, d’industrieux, même dans les coulures de bougainvillées et les escaliers pavés entre les maisons de pêcheur, les hortensias chiffonnés.
De retour à Oviedo, le musée des beaux-arts, surprenant, aux mille couloirs et maisons d’antans, de bois et de patios cachés avec des oeuvres cachées. El Greco, bizarrement moderne comme à son habitude, un Foujita aux pigeons et aux chats, et Anaïs, je suis sûre, mais dont le nom a été modifié.
J’aimerais être plus libre ici : avoir le courage d’écrire sur tout et sur tous, sans les noms cachés et les ellipses et les histoires émincées en tous petits bouts. J’aimerais comme Anaïs dire et plaquer les faits comme ils arrivent, les gens comme je les perçois. Et puis je me ravise ; il faut toujours laisser au lecteur la place de construire. L’esquisse, c’est l’accroche des fils qui courent ensuite dans les esprits. Écrire, dans sa pureté viscérale, c’est poser assez pour faire sentir la main effleurée ou le boyau tordu, mais il ne faut jamais marteler de mots et de réalités. Peut-être que c’est un peu comme vivre : il faut garder sa part d’ellipse et d’inaccessible, au risque de devenir sinon un personnage de mauvais best seller.
Son : deux pièces. L’une pour les consonances de flamenco à la langueur nostalgique : Michel Camilo & Tomatito, Spain Intro, in Spain, 2000. Et aussi, parce que les Asturies, la truculente Youn Sun Nah, Asturias, in Immersion, 2019.
Luis Moya Blanco, Universidad Laboral de Gijón. Capilla, fachada principal, Biblioteca de la Escuela Técnica Superior de Arquitectura de Madrid, 1949José Ramón Zaragoza, Retrato de Luz Ojeda, 1912, peint à Paris. Museo Bellas Artes de Asturias, Oviedo. (En fait c’est un portrait inavoué d’Anaïs Nin peint vingt ans plus tard.)
J’ai les mots au bout des doigts : « j’ai retrouvé la chanson. » je crois. celle qui passait au café, là où tu m’as serrée contre toi en disant « excuse-moi » et je me suis sentie entendue. comprise. deux jours je l’ai cherchée, écouté tous les albums, et enfin, dans une compilation, par hasard, trébuché sur elle
voilà encore quelque chose qu’on taira. pour garder intact l’intention. le mot. la projection de l’oreille tendue, la parfaite projection d’une parfaite réception
Nous vivons, je vis, des attentes, des tracés déliés fendus dans les toiles de la réalité – je vis des sillons creusés par les ongles, à la saignée des tempes la peau tailladée, nous vivons, je vis, de
Nous vivons de devenir des personnes meilleures. alors nous nous taisons dans la grande ellipse de nos vies, cette place, ma place, cette appartenance, mon appartenance, comme toujours, comme jamais : elles n’existent pas.
Nous vivons, je vis, de cette errance, de ne pas suffire et que ça ne suffise pas. suspendue à l’espoir qu’on soit prêt en face. à coups de « malheureusement » martelés dans mes rétines, des justifications aux araignées filantes, dans les ambivalences aux lâchetés logistiques, aux phrasés dramaturges plantés dans des décors qui choient de se prendre au sérieux.
Je vis, nous vivons de Je vis de donner vie et sens à ces vécus, ces imaginés, projetés et créés, ici, tout prend la valeur, le potentiel d’un sentiment océanique, ici, aux vides dorer les flancs, à la non-place, la non-appartenance, à la solitude rendre leur noblesse.
on taira ou pas. qu’il me restera ça : vivre, écrire. écrire, vivre. et même si je m’en satisfais, est-ce que ça fera jamais de moi une personne meilleure ?
Enfin convergé avec mon doctorant J. sur le proceeding1, dont la deadline de soumission était il y a deux jours. Que de pression2. Dix ans de travail et quarante particules candidates repêchées dans du bruit. Que de péripéties et d’itérations avec J. J’ai une todo liste longue comme le bras, et envie surtout de lire Salinger, plonger dans la musique spectrale, jouer avec des sons et des phrases voir si ça collerait. il fait frais mais on sent que la trêve est de courte durée j’ai des effilochés de Bouvier dans la tête entremêlés de mots nocturnes et de d’éclats bleus Mon beau-frère joue à Duel en bas dans le salon avec A., j’entends A. râler (mauvais perdant) P. taille le lierre qui fait de la poussière et une odeur verte et forte je suis sur le lit étrange suspension en ce dimanche
[Edit : une heure plus tard, ça explose en hurlements démentiels qui couvrent tous les spectres à la frontière cérébrale (A.) – est-ce ça qui était suspendu ?]
Article qui accompagne une présentation à une conférence. ↩︎
C’est J. qui, modestement, présente les premiers rayons cosmiques trouvés par lui et moi la collaboration G. à la conférence internationale du domaine cet été. ↩︎
Le pendule de laiton oscillait. Assis sur les marches de marbre derrière les colonnes du Panthéon, A. a sorti son carnet et j’ai expliqué en trois schémas le transfert d’énergie cinétique et gravitationnelle, les frottements de l’air et la preuve de la rotation de la Terre. Une collection de vitrines d’art figeaient par symboliques un peu cliché la guerre de 14-18. Par intermittence, un chœur s’élevait, In nomine lucis, de Dusapin, semblant ralentir les battements, tellement que A. s’est exclamé : « Regarde, le pendule s’est arrêté ! »
Je leur avais avoué rue Soufflot : je cherche de l’inspiration pour mon texte – une commande en prélude à un morceau de Gérard Grisey. L’un des inventeurs du courant dit spectral, dont la musique serait sensuelle, utilisant la chair du temps… J’essaie d’appréhender, la construction, l’intention, par lectures et rencontres, et l’écoute surtout, d’une œuvre qui m’est étrangère et étrange – surtout pour moi qui ai zéro formation musicale.
Mais à force de fouiller, je récupère des mots, des bribes d’état d’esprit avec lesquels entrer en résonance et chercher à coïncider par petites touches. Deleuze, la force plutôt que la forme. La préparation méticuleuse mais un rendu à la courbe organique. Ce fragment de journal :
14h. Voilà, j’ai tout de même bien travaillé, mais il n’est pas facile de s’arracher à cette pesanteur. « Pesanteur » le mot qui convient bien à cette journée, le ciel est si bas. J’ai des douleurs un peu partout, nostalgique comme si souvent, la vue des déchirures de lumière dans les nuages et là-bas, cette pellicule blanche à l’horizon de la baie me pétrifient. Le temps passé glisse, s’insinue, s’effiloche. La musique fuit, la musique passe, j’essaie d’en cerner à ma mesure quelques palpitations. Pour Epilogue, je relis les schémas de partiels, modulations et transitoires. Une vie de travail et de « patience ». Comme si je voulais cerner une forme intérieure, l’ossature-même de mon âme… Je jubile. De la grande, de la très grande musique, après moi on se demandera pourquoi, comment… Je jubile : Epilogue, si j’en ai l’énergie aura une sacrée gueule !
— Gérard Grisey, Journal, à propos de la composition d’Épilogue dans Les espaces acoustiques., 1985
Le morceau qu’on me propose de compléter par des mots prononcés est construit à partir de pulsations de pulsars.
J’ai en vrac dans la tête les équations de magnétosphères du papier de Michel (1973), la pêche de Jocelyn Bell, le bourdonnement du grand radio-télescope de Nançay, la navigation interstellaire, le Pulsar Timing Array, et des éclats de lumière, de particules, la fusion d’étoiles à neutrons et les ondes gravitationnelles, j’ai aussi les flashs de séquences rembobinées de Koyaanisqatsi, et allez comprendre pourquoi, Voyelles de Rimbaud en puissante litanie. J’ai aussi enfoui juste sous la surface, à savoir si on l’utilisera ou si elle restera elliptique, une image secrète, intime, la véritable.
Préparation méticuleuse, force plutôt que forme, organique, sensuelle, l’utilisation du silence. Difficile d’être à la hauteur d’une telle commande, le renouveau du texte d’un astrophysicien qui a été conçu à l’époque en dialogue avec le compositeur. Mais quelles que soient ensuite les critiques, ce qui compte est que la création soit viscérale.
Une version dernier cri de la musique des pulsars, basée sur les données du projet Radioastron, 2019.
Un être cher me lançait il y a peu : « La personne que tu cherches n’existe pas. Bon courage pour ta quête. » Et moi, avec impertinence : « C’est la quête qui est intéressante. » Je réalise qu’au fond, ce n’est pas une quête, c’est une espèce d’attente. Ironie pour moi qui déteste tant attendre que je me débrouille pour toujours être en retard, mon impatience chevillée au corps, ma petite phrase en pied de nez « Je suis nulle en attente. »
Et il semblerait pourtant… Qu’est-ce que j’attends ? Qui ? Le bouleversement ? Que le prochain événement transitoire illumine le ciel, au moment où nous aurons construit notre détecteur de particules d’ultra-haute énergie ? La démonstration ultime que j’ai de la chance, que je suis, sans conteste, la plus chanceuse de l’Univers ?
Peu avant sa disparition, le philosophe Guy Samama écrivait cet habile assemblage de mots, qui donne sens à ces labyrinthes cérébraux.
Le tragique de l’attente, c’est que sans objet ni projet véritable autre que de continuer à exister, elle définit notre finitude, s’identifie à notre conscience et nous fait sentir notre irrémédiable solitude. Ce que révèle l’attente, c’est une impossibilité ontologique de coïncider avec soi-même alors que cette impossibilité coïncide avec nous-mêmes au point de nous constituer. C’est ce qui fait sans doute sa vocation à la fois secrètement eschatologique et implicitement métaphysique.
— Guy Samama, L’attente : trompe-l’œil du désir, 2016
Son [accompagnement indissociable de ce billet, sans lequel l’expérience est incomplète] : Philipp Glass, Prophecies, in Koyaanisqatsi, 1983
Greg Dunn, HIPPOCAMPUS II. Enamel on composition gold and aluminum, 2010