En trois temps, en musique, et en personnes merveilleuses : le déroulé d’une journée-sursaut-gamma comme il en arrive une poignée dans la vie. [3ème partie]
À la sortie du studio, je suis comme la lycéenne qui retrouve ses parents après les oraux du bac : « Alors, ça allait ? — Très bien ! opine mon attachée de presse. — T’étais géniale, » valide mon éditeur, avec ses yeux bleus un peu fiers et un peu tendres.
Une fois tous les deux, sur le chemin du retour, il me raconte ce qui se disait en régie, que MV conseillait mon livre à tout le monde, que lui-même s’empressait d’en conseiller le chapitre 11, il m’explique comment lire les classements sur Amazon, le boost que fera l’émission, me redit à quel point cette médiatisation immédiate est rare. À Denfert, dans les couloirs du métro, nous bavardons encore – ou plutôt, c’est lui qui bavarde parce que si je fais semblant d’être solide, je contiens à peine ma liquéfaction.
Je fais un crochet à mon laboratoire, puis trace vers celui de O. Nous écoutons ensemble son « OH SHIIIIT! » et il se marre, mais je crois qu’il est aussi un peu ému. Au cœur de sa tempête, il prend le temps de se réjouir pour moi, nous causons longtemps avec son directeur de laboratoire dont l’accent italien, la bonhomie et la vision m’ont toujours charmée. Sur la dalle de Jussieu, dans le vent glacial, O. me lâche : « Je ne comprends pas pourquoi c’est si dur. Pourtant j’ai tellement l’impression qu’on essaie de faire les choses bien. Et merci. Heureusement, on est là toi et moi ; à la fin de notre carrière, quand on se retournera, on saura que c’est ça qu’on a construit ensemble. »
À 19h30, dans le long couloir du RER Saint Michel, entre les mosaïques colorées, je retiens les vagues d’intensité qui débordent, je pourrais les pleurer ou les vomir, dans le train, je me raisonne : « Tais-toi et comprime toute cette énergie, sinon tu vas te transformer en supernova, en sursaut gamma, contiens-toi, » je pense aux mots et aux étreintes des uns et des autres, tout ce que je reçois et comme on m’accompagne, combien les âmes sont belles et les cerveaux brillants, tant de chance : c’est merveilleux, merveilleux et terrifiant.
Mais j’expliquais plus tôt à mon attachée de presse et à mon éditeur : « En principe, le bonheur, c’est non-linéaire. À chaque instant t, on repart sur une gaussienne. Alors quand on atteint des sommets, le risque de dégringoler tout en bas est faible. Donc je ne mourrai peut-être pas d’un accident de voiture demain. » Elle a levé les yeux au ciel, et il a souri avec les siens, bleus, un peu fiers, un peu tendres.
Hugo Van der Goes, Triptyque Portinari, adoration des bergers, 1478, Uffizi, Florence
En trois temps, en musique, et en personnes merveilleuses : le déroulé d’une journée-sursaut-gamma comme il en arrive une poignée dans la vie. [1ère partie]
Au matin, j’inscris cette note : Il se passe quelque(s) chose(s). À xx heures, je serai en direct sur la radio la plus écoutée de France, ça m’a tellement stressée ces derniers jours, et d’un coup, comme je sors de chez moi, ma bipolarité m’offre la curieuse certitude que ça va être superbe. Une sensation rare de justesse, de viser d’un jet de lumière et de matière le bon point dans le ciel.
Au café hipster, une petite heure, la directrice envoie des mails à la volée, résout un couac, confirmant qu’aujourd’hui, rien ne peut dérailler. La co-porte-parole de G. traverse Paris, rejoint son alter-ego O. à son laboratoire. Découvre qu’il ne mange plus, ne dort plus, et l’ampleur des tensions qui pèsent sur lui, sur la collaboration, depuis le début de la semaine. Absorbe les éléments de la situation étape par étape. Tombe en arrêt devant un message qu’il lui montre.
L’échange avec O. est d’une telle intensité, autour d’un problème d’une gravité singulière. L’illuminée en moi ressent la vibration et le potentiel des actions et des résolutions. Je promets à O. d’y plonger une fois l’émission terminée.
Ladite illuminée traverse le Pont Mirabeau en récitant Bergère ô tour Eiffel1 dans un état combiné d’élation et de limpidité cérébrale.
Un énième café aux Ondes, à 13h15 avec mon attachée de presse et mon éditeur. Sur la terrasse, dans le froid, avec des plaids. Puis la Maison de la Radio, le contrôle des sacs, la dame à l’accueil qui nous accompagne jusque chez MV. Mon attachée de presse connaît tout le monde. MV arrive, se présente, me sert la main et : « On va s’installer en studio. »
PB, journaliste connu d’un quotidien connu, entre dans mon bureau, me demande ce que signifie mon kakemono – une calligraphie d’un poème de Tao Yuanming qui dit trouver la quiétude loin du tumulte des affaires humaines [j’avais trouvé ça particulièrement amusant sur un pan de mur de la direction du laboratoire]. M’interroge sur les pierres du Gobi lunaires que je malaxe. Il me demande : « De quoi rêvez-vous la nuit ? » et nous parlons de Sei Shonagon, de l’écriture comme respiration. Il me dit qu’il en a lu des pelletées, des livres de science, et celui-là… que parmi les auteurs, il y a ceux qui écrivent bien parce qu’ils ont appris et savent s’exprimer… et encore au-dessus : « Ça se voit immédiatement, que vous aimez écrire. » Nous parlons de l’art de la formule, des mots et du langage nécessaire, du conte indispensable pour véhiculer tout message. Il dit : j’espère que des gens vous liront comme ça ; il y en a plein qui ne vont pas le remarquer, vous savez.
Le soir, je raconte ma vie à mon (pauvre) éditeur dans un mail-fleuve – il doit en avoir assez de cette gamine pendue à son cou, lui blablatant ses états d’âme. « Je n’ai pas pleuré, » j’écris dans une parenthèse.
Je crois pourtant que tout ce qui arrive est un haut assez rare, fugace et merveilleux pour que je m’arrête et pleure longuement… d’autant que je n’ai pas, comme mon éditeur, cette pression de la vente. Je voudrais juste être lue, qu’on résonne un peu avec moi, qu’on me dise encore quelques fois « ton livre a quelque chose de viscéral et il m’a ému. »
La richesse des événements cette semaine pourraient faire l’objet de vingt billets. Mais étrangement : les mots ne suffisent plus. Ou alors dit autrement : la vie se suffit à elle-même. Une partie de moi s’offusque : non, jamais, il faut écrire, il faut écrire car ce high bipolaire, ce moment où le cerveau va plus vite que ma pensée et a déjà construit tout ce qui détonne et qui marchera avant même que ça n’arrive, ces ingrédients semés qui germent de toutes parts, l’odeur de l’hiver sec aujourd’hui, et les messages, tous les messages et les instants d’interaction, qui s’étalent dans les temps et les intelligences humaines, il faut les inscrire. C’est une discipline de poser des mots, dans l’ennui ou l’exponentielle envolée. Ne pas y déroger, continuer à écrire.
Son [parce qu’il n’y a pas que Jane Austen dans la vie] : Thérapie TAXI, Hit Sale, in Hit Sale, 2018
Vue de Paris depuis la Tour Zamansky, à Sorbonne Université, jan. 2025
Note : Les Carceri d’Invenzione 2 et 3, datant d’il y a plusieurs mois, ont été censurés et retirés de ce carnet.
Quand j’envoie mes vœux de la part de la nouvelle équipe de direction, O. me répond de suite : « Ça y est, t’es la cheffe ! ». Ce à quoi je rétorque que pour m’approprier la fonction, j’ai passé la journée à décrasser mon bureau et à bouger les meubles. Qu’il est tellement grand que j’y suis perdue, viens vite me tenir compagnie.
Avant de tout bouger, de jeter les tas de vieux papiers et revues, de clouer les petites tartines de Jules au mur, et de laver les meubles chinés dans les ateliers au sous-sol de l’institut, de descendre des piles de livres de mon bureau de chercheuse Mon Gaisser Mon Antenna Theory Mon Jackson Kean, Le rivage et Electre (toujours être bien accompagnée) et quelques livres dont m’a nourri mon éditeur d’autres qui m’ont nourrie cette année
Avant tout cela, avant les deux mille configurations de branchements électriques testés un à un, et mes premiers calls interminables de l’année
Avant tout cela. Je suis entrée dans le bureau de direction, mon nouveau domaine.
Je me disais avec légèreté – qu’est-ce qu’on s’en fout, c’est une fonction que tout un chacun pourrait exercer, et c’est assez curieux que ça m’incombe, d’ailleurs.
Mais aussi : dans ce silence, dans ce vide, dans ce nouvel espace, le vertige. Oh ça a duré une minute peut-être, cette sensation d’être dépassée et tenue dans le flot des éléments, d’être là ou pas, mais que désormais l’habit tracera le carcan de mon quotidien, un brouhaha de pouvoir et de liberté perdue.
Je me disais : ma grande, rassemble-toi, retiens entre tes doigts tout ce qui flotte et s’éparpille. Fais ce que tu dois faire.
Alors j’ai fait.
Giovanni Battista Piranesi, Le Carceri d’Invenzione, circa 1745-1750
Les Misérables au Châtelet pour terminer l’année. Ma comédie-musicale madeleine, écoutée deux milliards de fois sur les autoroutes dans notre petite Golf sans clim depuis mes 7 ans (dans sa version originale de 1980). Amusant et un peu irritant cette remise au goût du jour pour wok-ifier l’ensemble. Je ne comprends pas qu’on ait pu mutiler :
Rouge, Le peuple est en colère Noir, L’espérance de la terre Rouge mon sang tourne à l’envers Noir mon cœur est en misère Sans elle, loin d’elle, malade d’elle
par
Rouge – la flamme de la colère! Noire – la nuit de l’ignorance, Rouge – un monde en train de naître, Noire – la mort de l’espérance.
Toute la notion entremêlée de se battre pour le peuple et du mal d’amour est perdue !
Dans les scènes de barricades grandiloquentes, je repense à cette histoire de révolutions. Comme c’est français tout cela : il faut que tout soit fait avec des idéaux, des larmes, de la passion, du bruit, du sang, et des lumières.
Bon, je pleure pendant trois heures, et c’est splendide. À l’entracte, la Tour Saint Jacques depuis les toits du théâtre, avec un macaron au chocolat et un rooïbos pour se réchauffer les mains. Pendant trois heures j’ai arrêté mon cerveau – mais pas assez vu que je me suis fait cette réflexion… – pour me consacrer à recevoir et vivre.
Son : Les Misérables, version originale de 1980, Rouge et noir, comédie musicale adaptée du roman éponyme de Victor Hugo par Claude-Michel Schönberg (musique) et Alain Boublil et Jean-Marc Natel (paroles originales en français).
L’idée ridicule de ne plus jamais te revoir de Rosa Montero part de la mort accidentelle de Pierre Curie pour retracer celle de Marie. Un livre à la Montero, à la Nancy Huston, dans cette analyse moderne de la condition féminine et de la puissance biologique, écrite avec les mots justes, ceux de l’intellect et de l’émotion féminines. Et pour Rosa, une façon de digérer la mort subite de son propre époux.
Tout ce qui concerne Marie bataillant pour sa peau. Oh comme cela remet en perspective mes propres batailles, qui, hélas toujours dans les mêmes thématiques, ont des ordres de grandeur de fadeur.
Il m’apparaît assez évident que Marie était bipolaire. Ce besoin de chair et de scintillement, et la douleur hurlante dans ses carnets, l’alternance des hauts et des bas. De toute façon, on n’accomplit pas ce qu’elle a accompli dans un monde de mâles, sans la poussée intérieure de quelque chose qui nous enlace et nous sort de nous-même – l’hypomanie, la manie, le coup de pouce qui accélère l’esprit, vous donne confiance au-delà de vous-même et des autres, et vous permet d’abattre le travail frénétiquement et avec une efficacité inespérée, sans avoir besoin de dormir, de manger. Puis les périodes de dépressions où elle disparaît.
Le lynchage médiatique de la femme [en particulier lorsqu’elle réussit], c’est vieux comme le monde (par ex. les Jeanne d’Arc et autres sorcières brûlées). Lorsque la femme de Langevin fait publier les lettres d’amour entre son mari Paul et Marie dans la presse, c’est un scandale du niveau de Robsten (Robert Pattinson et Kirsten Stewart, 2012, à une époque où je suivais la presse People). Sauf que Marie n’est pas actrice, elle est physicienne et ce n’est pas parce qu’on a un prix Nobel qu’on est préparé à une telle médiatisation, un tel jugement gratuit de sa vie privée.
Dans mon quotidien, c’est un travail de chaque instant d’être immune au sexisme ambiant. Et parfois certaines piques m’atteignent et me jettent dans des méandres de doutes, qui peuvent durer quelques jours, parfois des mois. Marie a disparu une année suite au harcèlement infâme de la presse et surtout du milieu académique. Puis elle a réapparu (avec un Nobel de plus que les connards du comité lui avaient demandé de ne pas venir récupérer) ; elle ne s’est pas brisée.
Dans l’histoire, je découvre cette lettre d’Albert Einstein.
Highly esteemed Mrs. Curie,
Do not laugh at me for writing you without having anything sensible to say. But I am so enraged by the base manner in which the public is presently daring to concern itself with you that I absolutely must give vent to this feeling. However, I am convinced that you consistently despise this rabble, whether it obsequiously lavishes respect on you or whether it attempts to satiate its lust for sensationalism! I am impelled to tell you how much I have come to admire your intellect, your drive, and your honesty, and that I consider myself lucky to have made your personal acquaintance in Brussels. Anyone who does not number among these reptiles is certainly happy, now as before, that we have such personages among us as you, and Langevin too, real people with whom one feels privileged to be in contact. If the rabble continues to occupy itself with you, then simply don’t read that hogwash, but rather leave it to the reptile for whom it has been fabricated.
With most amicable regards to you, Langevin, and Perrin, yours very truly,
A. Einstein
P.S. I have determined the statistical law of motion of the diatomic molecule in Planck’s radiation field by means of a comical witticism, naturally under the constraint that the structure’s motion follows the laws of standard mechanics. My hope that this law is valid in reality is very small, though.
— Albert Einstein, Volume 8: The Berlin Years: Correspondence, 1914-1918
Tout y est parfait. De commencer par s’excuser de s’occuper de ce qui ne le regarde pas. De parler de son ressenti à lui sans la plaindre en dégoulinant. De limiter les conseils. De lui parler d’abord de son intellect dans la liste des choses qu’il admire chez elle, et ce baume que ça a dû être, le miroir des validations, de lire ceci : I […] admire your intellect, your drive, and your honesty, and that I consider myself lucky to have made your personal acquaintance in Brussels. Cette façon de se placer à égalité scientifique et même en dessous d’elle. Et bien sûr de terminer sur une note scientifique, parce qu’on reste des scientifiques jusqu’à la moëlle. Aucun paternalisme dans cette lettre ; et elle aurait pu très bien avoir été écrite à un homme comme à une femme. Ça me bluffe, me donne de l’espoir en le genre humain – et le genre humain scientifique.
Ce qui est beaucoup moins glorieux, ce sont les articles de presse que je trouve en ligne qui évoquent cette lettre. « Les gentils mots d’Albert Einstein à une Marie Curie dans la tourmente » « Quand Einstein disait à Marie Curie… » « Quand Albert Einstein remontait le moral de Marie Curie » titre France Info. Ce que Einstein a évité avec brio dans sa missive d’une parfaite amitié collégiale, heureusement la société un siècle plus tard, s’occupe de le tartiner avec application : paternaliser, lui prêter un geste de paternalisme, comme s’il était venu sauver une damoiselle en détresse. Alors qu’elle était en mesure de gérer, qu’elle criait seule sa détresse entre ses murs, ceux de sa tête et réfléchissait à comment se sortir de cela, comment taire le monde extérieur pour ne plus être ainsi tailladée. Évidemment cette parole amicale, ce miroir du pair qui la voyait comme une paire, qui la savait forte et résistante, était bienvenue. Mais ce n’était pas du réconfort ni de la gentillesse, bordel. C’était une expression de sympathie parce qu’il les trouvait tous très cons tous autant qu’ils étaient, lui aussi. La vie, ses incroyables merveilleux et douloureux hauts et bas, le déclin physique et la mort par irradiation, elle a très bien su gérer tout ça sans que des hommes lui donnent des conseils oiseux tirés de leur référentiel de faiblards insécures. Et elle était une femme, avec des ovaires, du charme, de la peau, et assez d’orgueil pour survivre, oui, merci.
Marie Curie, circa 1905. H. Armstrong Roberts/ClassicStock/Getty Images
Au réveil, c’est comme si je sortais de deux jours alitée à quarante de fièvre et que j’allais pouvoir enfin courir le monde. Ces humeurs calquées sur des facteurs relativistes, c’est peut-être après tout une marque de physicienne tarée.
Les villes et villages anglais, intacts dans leurs colombages et leurs ruelles de sorciers, aux enfilades de charities arborant des porcelaines bleues et roses, tout est à l’heure moderne et en même temps trempé dans son antiquité.
En cherchant le lien entre Thomas More et Canterbury, je découvre que sa tête coupée par Henry VIII est conservée comme relique à l’église St Dunstan. À seize heures, la lumière entre à peine des vitraux qui surplombent la dalle scellant la crypte.
More: If we lived in a State where virtue was profitable, common sense would make us good, and greed would make us saintly. And we’d live like animals or angels in the happy land that needs no heroes. But since in fact we see that avarice, anger, envy, pride, sloth, lust and stupidity commonly profit far beyond humility, chastity, fortitude, justice and thought, and have to choose, to be human at all… why then perhaps we must stand fast a little –even at the risk of being heroes.
— Robert Bolt, A Man For All Seasons, 1960
Coup de cœur de jeunesse pour cette pièce – toujours au lycée. Pour l’oral du Cambridge Proficiency, j’avais disserté sur l’œuvre avec mon emphase de gamine romantique [mon éditeur me dirait, ma pauvre tu ne t’en es pas encore débarrassée].
« I find the character of Thomas More quite shattering. » L’examinatrice s’était arrêtée, m’avait dévisagée, et je me demande à ce jour encore quelle était sa surprise. « Why? — Well, because he was ready to die for his principles. »
Au-delà de mon analyse inepte d’adolescente, le personnage forgé par Bolt est bouleversant dans un mélange bien plus complexe. D’abord sa façon tendre et moderne d’être père/époux/homme et comme il est aimé en retour. Et surtout ceci : homme d’État de cœur et de nature, il se résigne à abandonner le compromis, parce qu’il ne peut y sacrifier son âme… mais pas que. Prêter serment sur la suprématie du roi d’Angleterre sur le pape, c’était le début d’une décadence qu’il ne pouvait publiquement valider au risque d’être un héros.
Car enfin, c’est bien sûr cela le plus bouleversant : le héros, le héros solitaire, celui qu’on aime, mais qui ne peut être compris car il a des siècles d’avance sur le destin de l’Humanité qu’il imprègne. Le héros qui toujours à la fin, meurt seul, sans gloire, ses actes masqués, avec pour compagne l’assurance de ne pas s’être perdu. Je me demande au final, si ce n’est pas la plus belle façon de mourir.
Son : quelque chose de léger et d’impertinent pour casser la lourdeur de ce billet : Isobel Waller-Bridge, David Schweitzer, Emma Woodhouse, in EMMA. (Original Motion Picture Soundtrack), 2020.
Susannah York et Paul Scofield (Thomas More et sa fille Margaret) dans A Man For All Seasons, dir. Fred Zimmerman, 1966Saint Dunstan’s Church, Canterbury, décembre 2024Vitraux de Saint Dunstan’s Church, au centre : Sir Thomas More, déc. 2024
Hut 55 : un flat white sur front de mer. Dans les chemins de ronde souterrains de Deal Castle, les garçons courent dans les flaques lugubres avec leurs mousquets de bois, et moi je me demande ce qui s’est passé dans chacun des angles. Quelles plaies béantes, quelles arnaques aux barbes puantes, quels baisers donnés ou volés ? Henry VIII, pendant qu’il construisait ses bastions à vitesse d’empereur chinois (Deal Castle en 18 mois), les méditerranéens partaient à l’assaut d’une Terre ronde. À l’étage, le topo sur la monarchie parlementaire me rappelle encore une fois que toute ma compréhension du monde, je la dois à mes années lycée – à Gil Emprin, prof d’Histoire et conteur-né. Il posait ses fesses sur son bureau, les pieds sur la table de devant, et il nous déballait tout ça comme dans un one-man show :
« Parce que les anglais, ils rigolaient bien, et se disaient : vous êtes gentils, mais votre truc, là, la Révolution, nous on l’a déjà faite y’a cent ans. Et on n’a pas eu besoin de couper des têtes. Limite s’ils l’avaient pas faite avec le petit doigt levé, vous voyez ? »