Transatlantic Princess 3

Ce n’est bien sûr pas une coïncidence qu’à mon retour de Pennsylvanie, je me sois précipitée sur Novecento et sur L’arrestation d’Arsène Lupin, dont l’histoire est construite autour d’un élément principal : la traversée transatlantique.

Before sunrise
I’m dazed and confused
Just like Julie Delpy
Like Leia say you do
[…]
Now I’m looking at the sun through
My eyelids
My eyelids
Now I’m drifting in the astral plane
When will I see you again?
Are you drifting in the astral plane?
[…]
One thing, one thing I can tell you
You look good when you’re tired
On a transatlantic flight

Leif Vollebekk, Transatlantic Flight, in New Ways, 2019

Son : Leif Vollebekk, Transatlantic Flight, in New Ways, 2019.

Le sourire de la lune, en version empourprée, juste avant qu’elle ne se suspende à l’aile de l’avion Air France Chicago-Paris, juillet 2024.

Arsène Lupin a fait cela

Mon amour depuis trente ans, dans la collection Bouquins.

Pour continuer dans la thématique de connaître quelqu’un :

– Tant mieux si l’on ne peut jamais dire en toute certitude : Voici Arsène Lupin. L’essentiel est qu’on dise sans crainte d’erreur : Arsène Lupin a fait cela.

— Arsène Lupin, dans L’arrestation d’Arsène Lupin, Maurice Leblanc, 1905

[Quel génie, vraiment, ce Maurice Leblanc.]

Altas céleste de Dunhuang

L’archiviste de la British Library de Londres m’entraîne dans le dédale de ses sous-sols avec sourire, couettes et lunettes papillon. Elle m’évoque l’astronome Jocelyn Bell dans les années 1960, à l’époque où elle était étudiante et découvrait les étoiles les plus petites et plus puissantes de l’Univers. Elle parle vite et beaucoup, avec un accent d’un comté du nord que je ne saisis pas toujours. […]

Devant moi s’étale une bande de quatre mètres de papier d’écorce de mûrier, sertie de plus de 1300 petits points annotés de caractères chinois et connectés entre eux. Datant du VIIème siècle, il s’agit de la plus ancienne carte d’étoiles existantes. Elle a été retrouvée intacte, après mille deux cents ans à sommeiller dans une grotte bouddhiste sur la route de la Soie, près de la ville historique de Dunhuang, dans le désert de Gobi.

Je ne sais pas à quoi je m’attendais à la vue de ce document. À être transpercée par la connaissance et la connexion suprême ? Qu’un jet de matière et de lumière me sorte du coeur et rejoigne les confins de l’Univers ? Q’une pluie de particules cosmiques de ultra-haute énergie pleuve soudainement sur mes détecteurs, justement installés dans le Gobi, et que mes collègues m’appellent en urgence sur mon téléphone pour m’annoncer la nouvelle ?

Bizarrement, rien de tout cela. (Quelle déception.)

Ai passé la semaine à mettre un doigt de pied dans la « salle des cartes » envoûtante de l’astronomie chinoise. Je me suis lancée dans une nouvelle version d’avant-propos pour mon livre – entreprise à la fois heureuse car délire fabulé, et laborieuse et frustrante par manque de temps. Si je pouvais, je passerais une année entière à lire sur le sujet et à aller causer aux spécialistes.

Heureusement, mon éditeur me coupe dans mon élan, en m’écrivant que mon premier avant-propos – sobre et court – est parfait, et que stop ! je ne dois plus toucher à mon texte, car il entre en phase de mise en page.

Son : déjà mis en ligne ici, mais la quintessence des atlas mise en musique : Steven Gutheinz, Atlas, in Atlas, 2018.

Détail de la carte stellaire de Dunhuang, ca. 649-684. Numérisée par les soins de l’International Dunhuang Programme et le British Museum pour contemplation ici.
Et puis cette photographie que j’adore de Jocelyn Bell Burnell, parce que c’est avec ce sourire, ces couettes et cette pêche qu’on a envie de faire de la physique. Au Mullard Radio Astronomy Observatory à Cambridge University, en 1968. © Getty – Daily Herald Archive/SSPL

Atlas réels et rêvés

François Place, Atlas des géographes d’Orbae, Tome 2 : « Du pays de Jade à l’île Quinookta », 1998

Atlas des géographes d’Orbae, de François Place, 1996 – 2000.
Planches de dessins détaillés et raffinés qui permettent rêves/inventions de paysages et d’histoires, comme quand nous étions enfants. Belle idée, mais une plume un peu sèche. En même temps, l’exercice est de présenter un atlas et ses récits associés, ça semble adéquat d’être factuel et non lyrique.

Marco Polo, Livre des merveilles, par Odoric de Pordenone, traduit en français par Jean le Long, 1298 (, ce n’est qu’une des versions existantes). Parce que finalement, il n’est pas nécessaire d’aller chercher dans la fiction pour l’évasion et la folie exploratrice, enrobées de contes utopiques. Vingt-quatre ans d’Asie, de terres, de cultures, d’éblouissements en bouleversements. Et revenir. Moi, c’est cela qui m’interpelle : comment revenir et vivre après cela ? Quelles souffrance et solitude – d’où le partage avec son livre dicté, certes, mais maigre contrepartie.

Les villes invisibles, Italo Calvino, 1972. J’aimerais lire l’italien couramment pour lire Calvino dans le texte. Marco Polo, à la cour de Kublai Khan, contant le contenu de sa boîte à trésors : une collection de villes surgies de mailles cérébrales et oniriques. Poésie mêlée à bizarreries. On pense à Borges. Les images sur chaque ligne, sans aucune nécessité d’aquarelle. Et la sensation de vivre une analyse sociétale percutante dans une merveilleuse boîte de cristal.

Le rivage des Syrtes, Julien Gracq, 1951. L’amour des cartes de Gracq, j’en ai déjà parlé. On est toujours dans cette même démarche : les terres rêvées, effrayantes ou douces, que l’on modèle à partir de celles connues, dans des langues d’eau et de minéraux. Le liseré qui délimite les mondes et les songes, l’invention des cultures puisque celle qui nous héberge a la contrainte de la réalité.

Novecento : pianiste

Mes doigts se sont arrêtés dessus hier, alors que je parcourais notre bibliothèque, et je l’ai avalé de nouveau, tout rond, comme un bonbon : Novecento : pianiste de Alessandro Baricco.

J’écrivais à X, il y a plus d’un an – une éternité en temps electrien – : « Est-ce que tu as lu Novecento : pianiste ? » Il m’avait répondu que non. Alors que c’est un livre pour lui. Mais on ne force pas le cours des âmes et les itinéraires de la réalité. X est passé, il a laissé comme la dernière fois sur son passage, une longue trace mystérieuse pleine de notes de piano et d’images, et puis il s’est effacé dans les contingences terrestres. Parce qu’il paraît que la vie est une chose sérieuse, pas du grand n’importe quoi à vivre éveillé.

Son : Anthony Jackson, Michel Petrucciani, Steve Gadd, Home, in Trio in Tokyo, 1999

Laborieux, terrifiant et merveilleux

Tous les soirs, au nouveau café hipster de ma ville de banlieue, avec des macchiato au lait d’avoine et mon verre d’eau, les serveurs et serveuses qui me connaissent par coeur, j’ai édité laborieusement tous mes chapitres – et j’en vois enfin le bout. J’envoie ce soir un fichier zip de mes quatorze chapitres corrigés. Je dois maintenant écrire un avant-propos. Je suis épuisée physiquement, psychologiquement, dans un état d’instabilité émotionnelle, alors que je suis restée si solide, campée, dans les tempêtes qui se calment à peine.

Il faut que je fasse lire des passages… J’ai demandé un peu plus tôt à O. : « Tu aurais le temps de lire trois chapitres, histoire de vérifier que ce que j’y dis de toi te convient ? » Et lui : « Bien sûr, avec plaisir. » Échange d’une banalité absolue et qui pourtant me terrifie.

Voilà : je vais finalement sortir un livre qui me ressemble, mais alors, si les gens le trouvent nul, si c’est un gros flop, qu’est-ce que ça signifie sur moi-même ? Et si O. trouvait que je m’approprie trop le travail des autres ? Et si V. et C. trouvaient que je suis paternaliste/maternelle dans ma description des doctorants ? Et si je me trompais sur tout ce que j’ai écrit ?

Et lorsqu’il faudra aller faire des interview, qu’on me posera des questions sur les choses que j’ai écrites sur lesquelles je ne connais rien pour la plupart, et si je me ridiculisais et dévoilais mon imposture totale ?

Mais mon Dieu, quelle incroyable, enivrante, merveilleuse aventure. J’ai écrit, partagé, ce que je voulais, et je vais être lue ! [Je sais, je me répète, mais c’est assez dingue pour que ça soit dit 200,000 fois au moins.]

Alors j’écoute en boucle et en boucle et en boucle, la voix limpide et masculine de Hannah Reid:

Excuse me for a while
While I’m wide-eyed
And I’m so damn caught in the middle
Yeah I might seem so strong
Yeah I might speak so long
I’ve never been so wrong

London Grammar, Strong, in If You Wait, 2013

© Electre, 2024

Clôture

16/08/24. Quand sur la route de retour de Normandie, vers Rouen, je reçois le mail de mon éditeur, je crois que c’est enfin la clôture que j’attendais. « Très belle fin, bravo ! » [ce qui me confirme qu’il ne l’avait en fait pas lue auparavant…] Il a fait ces deux dernières semaines un énorme travail d’édition, qu’il faut que j’implémente. Mais ce ne sont que des petites choses. Tout a survécu : mon chapitre 11, ma fin, mes passages éthérés, bien sûr des formulations qu’il veut modifier, des mots laids qu’il veut insérer dans le rythme choisi de mes phrases… je ne me battrai pas sur tout. Mais ma voix reste. Ma voix, mes messages, le souffle de ma narration. Il est enfin clair que ce qui sera publié, en dépit du titre, de la couverture, du pourtour de communication qui le feront peut-être vendre, sera ce que j’avais intimement envie d’écrire, de partager. Ce livre, il me ressemble et me correspond dans toutes ses fibres. Je vais d’abord achever tout ce travail d’édition. Et ensuite, je voudrais pleurer, pleurer. Parce que c’est une chance infinie, d’avoir la possibilité de s’exprimer et de partager de cette façon.

Olympique

Rue royale : beaucoup de monde, mais la suite est fluide.
Obélisque et fontaines vert de gris
Blocs d’arènes dressées, géantes, greco-romaines,
métalliques
emballées de couleurs vives-pastels.
S’être dit : où avons-nous assez de surface libre au cœur de la ville ?
Et de réquisitionner la place de la Concorde et des ponts et des boulevards
d’y monter des parcs surréalistes
dans lesquels on se balade et on grimpe
comme dans une animation 2D qui prend corps en 3D
Et on crie : Al-leez leees Bleus !! en tapant des mains et des pieds
en zyeutant la tour Eiffel, les Invalides, Montparnasse
et la pierre blanche des palais de la place
Les ballons pleuvent dans le panier, quelle euphorie collective
Recette universelle, prenante et enthousiasmante, que celle du pain et des jeux.

Parc urbain Place de la Concorde, depuis le bloc C, Basketball 3×3, août 2024

Cherche encore

C’est un peu comme si j’étais revenue au niveau de septembre 2022. Mais sans la courbe montante et scintillante que je sentais alors percer dans mes os. C’est comme si j’avais, en deux ans, vécu une métamorphose. Je me suis agitée sur tous les plans, géographique, expérimental, théorique, directoral, familial, personnel, culturel, relationnel, et surtout écritural. J’ai accompli tout ce que je souhaitais accomplir – ou presque, il faut encore que j’écrive un papier et que je fasse tourner quelques simulations cet été. Remercié, je crois, toutes les personnes qui m’ont soutenue sur les jeunes chemins de ma vie. Je suis passée de la trentaine à la quarantaine. Je me sens numérologiquement plus posée, plus apaisée, et tranquille dans les responsabilités qui m’incombent, les éléments que je dois incarner. Je mesure pleinement ma chance.

Mais je n’ai pas trouvé ce que je cherche (encore).

Son : Taylor Scott Davis, To Sing Of Love – A Triptych: II. Perilously, VOCES8 Foundation Orchestra, Jack Liebeck, Barnaby Smith.

La dame à la licorne : À mon seul désir. Musée national du Moyen Âge, Paris, entre 1484 et 1538.