Au commencement il y a Dieu. Enfin, juste avant il y a eu Bach, mais la partita pour violon qui pleut d’on ne sait où – on finit par repérer la violoniste en robe rouge perchée sur un coin de balcon parmi les spectateurs – fait partie intégrante de Fog, la composition féérique de Dieu, aka Esa-Pekka Salonen.
Ensuite il y a Yuja Wang et Prokofiev, ou Prokofiev et Yuja Wang. Bref, au bout du premier mouvement, là où la salle d’habitude se racle la gorge, on entend en chœur un soupir libéré, le souffle retenu, on s’était collectivement arrêté de respirer.
Enfin Wagner : le Prélude et mort d’Isolde, dont on ne voit pas le bout, mais qui s’est curieusement transformé sans transition ni coupure en le Poème de l’extase de Scriabin. Ça monte, ça se suspend, ça reprend, ça explose, l’orgue s’ouvre béant et chatoyant dans le mur, il emporte le corps massif dans l’orgasme musical. Quand on sort dans la nuit, l’univers est transmuté.
Son : Alexander Scriabin, Le poème de l’extase, Op. 54, interprété par Boston Symphony Orchestra, Claudio Abbado, 2012
Je me réveille d’un sommeil lourd, nous sommes déjà au-dessus de l’Allemagne ou de l’Alsace ; du ciel, je vois cette guirlande, village de lutins, de fées dans des chaumières. Je suis dans un film d’animation, Klaus, Polar Express.
Dans la couche fine de mes paupières scintille la guirlande de mes seize ans. Au décollage de Londres, l’excursion à Cambridge, ce jour de décembre 1998 où ma vie a changé. Non ! où j’ai changé ma vie.
En ce moment tout est complexe, et je ne me jette pas à corps perdu dans de la célébration folle, même si je le pourrais – c’est ça peut-être la maturité ? Tout est d’une richesse heureuse, tout réussit, je sais pourtant d’où chaque élément provient, il n’y a pas une once d’impostrice dans ce que j’empoigne aujourd’hui. Je sais la joie dans laquelle j’ai construit, mais je sais aussi à quel point j’en ai chié et je peux compter à la jointure de mes neurones les cicatrices du vécu.
Alors je les touche une à une, et les larmes surgissent à chaque toucher, le souvenir des difficultés, des violences, le souvenir des émotions réelles derrière les histoires plaquées, réécrites ici dans une procédure d’auto-persuasion mythomane, ces souvenirs que j’accueille un à un et que j’embrasse, parce que ce sont eux qui m’ont faite, qui me tiennent aujourd’hui debout, à cette place qui m’est si chère.
Je brasse, sable, cailloux, grands ciels aux tons blancs, je brasse des dunes de colère et de réalisations, de tristesse et de compréhension. Je brasse jusqu’à ce qu’il ne reste plus que cette grande gratitude.
La gratitude à être et à avoir été. Et à tous ceux qui ont été merveilleux, ceux qui ont fait ce qu’ils ont pu, qui m’ont laissée intacte dans ce que je suis. Gratitude d’avoir su rester intacte.
Il y a encore tant à faire, que je souhaite faire. J’ai toutes les clés en mains maintenant, pour faire. Quelle chance inouïe.
Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre !
— Paul Valéry, 1920
Son : Antonín Dvořák, The Water Goblin, Op. 107, B. 195: I. Allegro vivo, interprété par le Berliner Philharmoniker, dir. Sir Simon Rattle.
Au-dessus de l’Allemagne ou de l’Alsace, oct. 2025
Je sors faire pipi sous la Galaxie ; je pense à tout ce qui se passe, qui est immense, immense, et puis… depuis quand suis-je cassée ainsi au point de fragilité et de sensibilité, à dépendre des éclats de miroir, depuis quand ai-je besoin d’une constante validation à chaque dixième de pas, à chaque respiration ?
Plus tôt, je suis allée derrière ma petite dune à épines, et pendant les quelques minutes de marche, le ciel blanc/bleu cassé à la lumière rasante, les couleurs uniformes et tendres, je songeais à ce qui s’est passé l’année dernière et comme j’en ai sorti un projet démentiel mais avec une auto-estime en morceaux, une insécurité abrasive.
L’immensité sèche, ce huis clos du bout du monde à triturer des instruments pour écouter pleuvoir du cosmos, ce terrain où l’on est focus en continu à gratter les instants, les lignes de code et le sommeil. Il me reste encore deux jours de cette retraite méditative, connectée, déconnectée, à l’émotion ténue, lavée par le vide et le ciel. Le désert, chez moi, a une fonction nettoyante, une érosion éolienne ; on me dissocie, on me transforme en minéral et on me lisse comme une pierre.
Son : 章益 Yi Zhang, 敦煌古樂團 Dunhuang Ancient Music Ensemble, 總曲子 General Tune, in Scattered Gold Sands, 2025
Brique peinte, représentant une récolte de feuille de mûriers, retrouvée dans un groupe de tombes au sud de la ville de Lutuo, dynasties Wei et Jin, 220-280 AD, Musée de Dunhuang
Enchaînement d’entretiens langoureux, au cœur palpitant et professionnel. Les gens, leur sensibilité exacerbée, leurs histoires, leurs colères, leurs maladresses, leur neuro-atypicité – leur besoin d’être et d’exister.
Curieusement dans cette grande salade le maillage se tient, la passoire laisse couler l’eau sale et retient le grain. Aux nouveaux entrants du laboratoire, je tartine des mièvreries à coups de « It’s a difficult world. It’s a difficult context. Now more than ever is it important that science institutes be a place of thoughtfulness, collaboration, sharing. » comme si j’avais fait un medley IA de Cat Stevens, John Keats et d’un ancien président américain.
Mais la vérité, c’est que j’y crois profondément. À ma science fondamentale comme dernier rempart de la diplomatie, à la gentillesse désintéressée des intérêts spécifiques autistiques, à cette polyphonie familiale nourrie à la reconnaissance seule, disjointe des profits financiers, et donc un peu disjointe de la réalité.
Je crois profondément à la qualité et l’utilité de chacun dans cette grande salade de goûts. Je crois aux mathématiques qui gouvernent les interactions, je crois au pragmatisme américain, à l’introspection française, je crois à la temporisation, à l’immédiateté, je crois, toujours, qu’il est possible de douter ou de ne pas douter, je crois aux choix et aux évidences.
J’essaie de transmettre ces notions à une table ronde Fulbright franco-américaine, quand on me demande « En tant que femme, percevez-vous votre façon de leader différente de celle des hommes ? » Et l’une des personnalités de la salle m’alpague à la fin « We all can’t get over how amazing you are. »
Je m’esclaffe et songe – comme vous me manquez, parfois, les américains, avec vos enthousiasmes débordants et vos validations, à la limite du dégoulinant mais sans hypocrisie aucune.
Je m’esclaffe : rien d’amazing mes amis, voyez plutôt Andromeda. Et si vous saviez comme je me trompe beaucoup, souvent. Mais je ne suis pas seule, ni pour me tromper, ni pour moins me tromper, et c’est la finesse solide de ce maillage qui me retient, qui nous retient, qui est si intéressante, si surprenante.
Son : la grande chanson du paternalisme, par Cat Stevens, Wild World, in Tea for the Tillerman, 1970.
J’ai chanté sa chanson à K., il a posé sa tête sur ma cuisse, maman tu as la peau douce, il dit distraitement ; c’est l’heure du coucher, dans la pénombre je suis assise sur le grand lit et je plie le tas de linge. Un haut rayé de K., un pyjama Star Wars de A., des chaussettes dinosaures, un pantalon pastel. La tristesse, elle remonte comme un motif, dans la pénombre, un pyjama velours, un caleçon à bande marine, un polo en maille piquée gris, en leitmotiv avec l’eau dans la pénombre, K. cherche les paires de chaussettes, c’est toi, dis-je, qui as la peau douce. Je pense : c’est bien, c’est toutes les larmes qui évacuent, tout ça passe et me traverse, les jeunes, les vieux, les pas jeunes et les pas vieux, moi j’applique les recettes et je sers de véhicule, je ne suis que les représentations et les validations, je suis ressource – mais je veux rester humaine. Je pense une nouvelle fois à ce qui s’est révélé à Chicago. Un T-shirt toucan fatigué, un caleçon à carreaux, un jeans, des chaussettes poissons. Tout est plié avec l’aide de K.
Son : Toujours Vanessa Wagner – et Wilhem Latchoumia. L’urgence et les motifs dans ce mouvement minimaliste de Philip Glass, Four Movements for Two Pianos: III., in This is America!, 2021.
Pour parler d’autre chose que de mon nombril et de chats : j’ai écouté le nouvel album de Taylor Swift.
Musicalement, c’est pire que d’habitude, avant même d’écouter une seule chanson, on les a déjà toutes entendues…1
J’avais été bluffée par l’album précédent, dont le titre – étonnant pour un tube de showgirl –, promettait ce qui m’intéresse dans la création : The Tortured Poets Department. Torturé, poétique : la promesse était tenue, infusant même dans la musique. On avait un album étonnant, sophistiqué, quasi indie, intimiste, comme des billets esquissés avec la juste distance pour dire les chemins tortueux de la vie et de l’esprit.
The Life of a Showgirl est un album pop, clair et lisse. La démarche pourtant est intéressante : « This album is about what was going on behind the scenes in my inner life during this [Eras] tour, which was so exuberant and electric and vibrant, » explique Taylor Swift, amoureuse et fiancée, dans une interview. J’aime l’idée que l’on compose un album au succès planétaire comme une suite de morceaux croqués d’une phase de sa vie.
Chez Taylor Swift, il y a toujours cet art du story-telling et une recherche poétique intelligente. Ce nouvel album n’y déroge pas complètement, mais je le trouve (trop) léger pour être réellement attachant/intéressant. Dans les grands journaux, les critiques interrogent : être amoureuse et heureuse n’est peut-être pas propice à la création qualitative ? J’avoue m’être fait la même réflexion.
Le bonheur, lorsqu’il est commun et implacable, demande un ciselage extrême pour le tailler aux facettes de l’art. La joie d’être mère, la joie simple d’être amoureuse et en couple, toutes les joies éculées s’aplatissent et aplatissent la création. Je me souviens de la lutte et de l’appauvrissement inéluctable des mots dans les débuts de mon couple avec P., et après la naissance de mes enfants.
L’art, disais-je à un ami cher, ce n’est intéressant que s’il y a des couches infinies sous celle effleurée, que si le lecteur, l’auditeur, le spectateur se retrouve sans crier gare attrapé, à l’intérieur même de l’œuvre, à la créer. Et pour insuffler des dimensions viscérales à une phase aussi éculée que celle de l’amour glamour et installé, il me semble qu’il fallait aller un peu plus loin que dans l’évidence de chansons pop entraînantes.
Son : en voici une malgré tout qui a un côté sale derrière le strass – et c’est ça qui est bon : Taylor Swift, Sabrina Carpenter, The Life of a Showgirl, in The Life of a Showgirl, 2025
Her name was Kitty Made her money being pretty and witty They gave her the keys to this city Then they said she didn’t do it legitly
I bought a ticket She’s dancing in her garters and fishnets Fifty in the cast, zero missteps Looking back, I guess it was kismet
I waited by the stage door, packed in with the autograph hounds Barking her name, then glowing like the end of a cigarette, wow, she came out I said, « You’re living my dream » Then she said to me
« Hey, thank you for the lovely bouquet You’re sweeter than a peach But you don’t know the life of a showgirl, babe And you’re never, ever gonna
Wait, the more you play, the more that you pay You’re softer than a kitten, so You don’t know the life of a showgirl, babe And you’re never gonna wanna »
Au matin, K. monte dans mon lit et déclare : « Quand même, t’as vécu beaucoup d’années ! » Je prépare une génoise japonaise, monte des blancs, des jaunes, de la crème fleurette, du mascarpone, des framboises, casse un plat en verre, dehors il fait éclatant et timide à la fois, un temps de fin de saison, un temps qui cache quelque chose. En fin d’après-midi, je tente une échappée dans un sommeil lourd, je me réveille en nage, noyée dans des magmas de rêves symboliques, A. entame sa version de la crise d’adolescence et ses hurlements injurieux emplissent et vicient l’air domestique. Nous préparons illico un bagage pour K., P. l’emmène au vert en Sologne. Je laisse A. décuver et tente une autre échappée – dehors cette fois. Je rejoins un univers parallèle, les collines de Bagneux, des complexes cubiques aux balcons débordants de plantes, des escaliers de béton dérobés, des impasses de chèvrefeuilles et de moustiques, la lumière rosit, puis assombrit les contours, baigne d’ombres équivoques, allume les lampadaires oranges, il faut rentrer, revenir à la réalité… je fais des plans, des agendas intriqués-imbriqués pour ne pas perdre ce fil, je m’enferre dans la non gratuité de cet univers qui pourtant devrait être la folie libre, mais je l’entortille de contraintes et de nœuds, j’ai cherché par différents moyens par le passé à le faire exploser depuis l’extérieur et ça n’a pas fonctionné, alors cette fois-ci je l’embrasse et le gangrène de l’intérieur, j’y injecte tout ce qui dysfonctionne chez moi, les kilotonnes d’insécurité et de rigidité. Sur la N20, les phares passent dans une alternance de feux et de zonards du dimanche soir. Et soudain à quelques mètres un crissement de frein, un éclat, un boum, une pluie de morceaux de verre et de vapeurs. Le tropisme de la foule. J’ai fui dans la station de RER un court instant, une trêve, je suis ressortie. Je me suis dit : « Traverse, prends l’autre trottoir, ne regarde pas. » J’ai vu malgré tout, un corps gros sur la chaussée un polo blanc et une marre de sang, la voiture fumait au milieu de l’attroupement, un peu plus tard comme je pressais le pas dans la nuit le samu accourrait, sa sirène bleue.
Qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je vis et provoque ? le long de roseraies à deux heures du matin, au bout d’interminables autoroutes et échangeurs, des enchaînements d’églises, des jardins à l’eau citronnée derrière des portails vert d’eau, les fauteuils damassés, les soupentes de pensionnat, les mezzanines au café kényan, je suis folle je crois, la frontière entre la vie et les délires romanesques se sont dissous, tout se mélange, l’équilibre est rompu, et la mixture maléfique est en train de dévorer le monde – de provoquer des accidents et des morts ? Y a-t-il un prix à l’intensité ?
Universidad Laboral de Gijón : immense palais à l’extérieur de la ville, construit dans les années 1940 sur les lignes de la Cité hellénique idéale et d’un palais royal espagnol, constellé de symboles franquistes. On y largue A. devant un piano, je lui dis au revoir et clos la porte d’une salle à sa disposition pour pratiquer, plusieurs heures par jour. « Si jamais tu n’as rien à faire et que tu t’ennuies entre les cours et les masterclass… » avais-je entamé, et lui de me couper avec évidence, prenant sur lui malgré sa petite anxiété « bah si je n’ai rien à faire, je jouerai du piano. »
Entre les colonnades parthéniennes, on descend quelques marches derrière un rideau de velours rouge et pénètre dans un café quasi-hipster, qui passe du blues avec vue surplombante sur les montagnes vertes asturiennes. Les lieux, leur enchaînement et les séquences sont insolites, du Alice au Pays des merveilles et du surréalisme combinés (mais serait-ce la même chose ?).
Ensuite, Villaviciosa, ville grise dans un ciel bas, sombre, mais qui ne tombe pas. Des azabache polis montés sur des boucles d’argent, éclats d’arbres du jurassique fossilisés. Le café d’antan où l’on mange des croquetas à tomber – béchamel cuite avec les ingrédients de fabadas m’explique la serveuse. Je lis Anaïs Nin à voix haute à P. (et K. qui écoute distraitement en boulottant sa tortilla), sur ses réflexions sur son intensité à vivre. [Hier A. s’était assis à côté de moi : « je vais lire avec toi » – euh non, je crois pas… C’était la page sur les putains de Henry Miller.] Il faut que j’écrive sur elle, ça m’agite et me crispe presque, de ne pas avoir/prendre de temps dans la journée pour la lire, et écrire, écrire tout cela.
Autoroutes et routes entre les montagnes jusqu’à Lastres qui cascade vers la mer dans un parfum entêtant d’eucalyptus. Toujours quelque chose de cubiste dans l’Espagne, de sale, de dur, de dictatorial, d’industriel, d’industrieux, même dans les coulures de bougainvillées et les escaliers pavés entre les maisons de pêcheur, les hortensias chiffonnés.
De retour à Oviedo, le musée des beaux-arts, surprenant, aux mille couloirs et maisons d’antans, de bois et de patios cachés avec des oeuvres cachées. El Greco, bizarrement moderne comme à son habitude, un Foujita aux pigeons et aux chats, et Anaïs, je suis sûre, mais dont le nom a été modifié.
J’aimerais être plus libre ici : avoir le courage d’écrire sur tout et sur tous, sans les noms cachés et les ellipses et les histoires émincées en tous petits bouts. J’aimerais comme Anaïs dire et plaquer les faits comme ils arrivent, les gens comme je les perçois. Et puis je me ravise ; il faut toujours laisser au lecteur la place de construire. L’esquisse, c’est l’accroche des fils qui courent ensuite dans les esprits. Écrire, dans sa pureté viscérale, c’est poser assez pour faire sentir la main effleurée ou le boyau tordu, mais il ne faut jamais marteler de mots et de réalités. Peut-être que c’est un peu comme vivre : il faut garder sa part d’ellipse et d’inaccessible, au risque de devenir sinon un personnage de mauvais best seller.
Son : deux pièces. L’une pour les consonances de flamenco à la langueur nostalgique : Michel Camilo & Tomatito, Spain Intro, in Spain, 2000. Et aussi, parce que les Asturies, la truculente Youn Sun Nah, Asturias, in Immersion, 2019.
Luis Moya Blanco, Universidad Laboral de Gijón. Capilla, fachada principal, Biblioteca de la Escuela Técnica Superior de Arquitectura de Madrid, 1949José Ramón Zaragoza, Retrato de Luz Ojeda, 1912, peint à Paris. Museo Bellas Artes de Asturias, Oviedo. (En fait c’est un portrait inavoué d’Anaïs Nin peint vingt ans plus tard.)
Il y a une forme de sérénité trempée dans une lampée de tristesse à dire et faire ce qu’il faut. À faire ce qui est juste, et ce qui semble doux, heureux, lumineux. Il est trois heures du matin, je pense à X, la jolie robe qu’elle a choisie, aux boucles d’oreilles dont elle s’est parée, la tête un peu penchée pour les attacher, en dégageant une mèche rebelle – et le courage qu’il lui aura fallu pour emmener ses enfants comme prévu au parc accrobranche, à faire semblant de s’amuser avec eux dans les arbres toute la journée, avec la notion sourde que peut-être le monde est en train de s’écrouler. Que peut-être qu’elle écroulera le monde, qu’il faut qu’elle le fasse, pour la pureté. J’ai cette voix dans la tête, cette supplique, pas la harpie mais la brisure fendue émiettée d’inquiétude et d’incompréhension, d’appréhension des écroulements du monde. Qu’est-ce qu’on fait, quand on a participé à provoquer cela ? On se retire sur la pointe des pieds. On le sait, on est venu, comme d’habitude, touiller un quotidien un peu fatigué et rappeler qu’on est vivant, écouter, partager. Maintenant, c’est à eux de jouer, cette fascinante vie des autres, ça ne m’a jamais appartenu, il est temps d’aller.
[Et parce que les films et les romans s’en mêlent : je frotte mes yeux au réveil quelques heures plus tard, et découvre que des chemins alternatifs ont été choisis. Que les boucles temporelles ont pris la forme simple de rondes au dessin japonisant. Beaucoup à travailler, mais c’est curieux, cet horizon soudain.]
Y por agradecer Lo extraño de simplemente ser Un alma curiosa singular Compleja en su calma y tempestad
Dime por qué será Dime por dónde vas Dime
Y en el amanecer Cuando todo va cambiando de color Y vemos aparecer Un mundo lleno de belleza y de dolor1
— José González, El Invento, in Local Valley, 2021
Son : José González, El Invento, in Local Valley, 2021
Salvador Dalí (Figueres, Girona, 1904-1989), Metamorfosis de ángeles en mariposa, 1973, Museo Bellas Artes de Asturias, Oviedo
Et pour remercier L’étrangeté d’être simplement Une âme curieuse, singulière Complexe dans son calme et sa tempête Dis-moi pourquoi c’est ainsi Dis-moi où tu vas Dis-moi Et à l’aube Quand tout change de couleur Et que nous voyons apparaître Un monde plein de beauté et de douleur ↩︎
De bastion en bastion, d’église en cathédrale, Lectoure, Auch, Saint Créac, les tomates cœur de bœuf et concombres biscornus, fromages de brebis frais, miel, ail gersois et oignons rouges, les rues sont silence, sieste, écrasées de chaleur et courant vers les plaines roussies percées de toits rouges et de bosquets sombres piqués de cyprès. Melons. Chats. Homme tatoué sciant sa planche. Aux fenêtres les volets clos et les dentelles de fer forgé.
Le soir, j’enfile une robe constellée d’aigrettes de diffraction pour prendre par la main une foule interloquée par Aurélien Barrau. J., mon vieux prof d’école me glisse : « Ne l’écoute pas trop. C’est toujours difficile de parler après lui, il a tellement l’habitude de causer, il harangue les foules. » Je lui réponds en souriant tranquillement dans la pénombre : « Je n’ai pas de problème avec ça. »
J’ai autre chose à partager qu’Aurélien Barrau – j’entre dans les projecteurs et je pose ma voix ; les gens, je voudrais les transporter doucement dans la poétique joyeuse de notre science, leur conter ce que nous sommes réellement, sans superflu, sans fioritures déclamées.
Sur la pelouse à la sortie, les garçons regardent les anneaux de Saturne au télescope. Il est bientôt minuit, K. est fatigué, il s’endort dans la voiture, A. raconte la chouette effraie et la chevêche d’Athéna qu’ils ont vues au gîte au couchant, pendant ma conférence. L’été suit son cours dans les petits hoquets d’un moteur du siècle dernier.