Boréale pour de bon

L’embouchure du Saint Laurent, ses fjords, ses îles, ses interminables forêts boréales au vert profond taché du tendre des bouleaux. Pourquoi ne sommes-nous pas venus ici plus tôt ? dis-je à P.
Ça me prend de majesté et de mouvement, ces marées et les couleurs inhomogènes de la mer. Le mélange des eaux, j’aime ces endroits qui ne se définissent pas, qui sont sel et sucre à la fois, qui parlent français comme on roule du lierre entre les joues, ces grands Nord si nordiques que la lumière s’étire encore dans des effilochures de nuages. Cette lumière, je l’ai aimée en Angleterre, en Écosse, dans les escarpements de la Scandinavie, l’année dernière dans le Maine. Elle dit : suspension.

Son : Je sais que ça n’a rien à voir a priori, mais c’est mon son du moment. Et honnêtement, je pense que le titre est mal choisi, on retrouve dans ce morceau les ingrédients du Nord, du Sibelius, du Stravinski… Gustav Holst, Indra, Op. 13, interprété par Ulster Orchestra, dirigé par Joann Falletta, 2012

Entre Tadoussac et Les Escoumins, juin 2024

Montréal, Québec City

Montréal, Québec city : nous y faisons une halte rapide pour attraper une tasse de café véritable, dans ces boutiques bobos hipster internationales. On y parle un français réconfortant et peu pratique (« Feux : Préparez-vous à arrêter » quel genre d’efficacité est visée dans un panneau d’une telle longueur ?). Et cette devise « Je me souviens. » du Québec, ils ne savent pas de quoi, mais c’est joli n’est-ce pas, et plein de sens – c’est ça le Québec, déroutant et attachant de simplicité. On y mange mille fois mieux que de l’autre côté de la frontière, car Jacques Cartier a apporté dans les cales de son navire l’usage des abats du cochon. Dans la ville, je me sens en terrain connu, conquis, un peu comme dans un aéroport. Les villes de ce calibre sont impossibles à ressentir en un passage éclair touristique (un jour peut-être j’y reviendrai en mission et ce sera différent). Mais Québec City, toute en dénivelés, l’amour des vieilles pierres et le parfum du Saint Laurent qui entame sa mue, oui, il y a quelque chose qui parle là dedans, qui parle à la corde vibratoire.

Québec depuis la batterie Demi-Lune, gravure de Coke Smyth tirée de «Sketches in the Canadas». Reproduction par photographie de Denis Chalifour, Musée du Séminaire du Québec, 1838

Au bureau, à Thousand Islands

Thousand Islands
ses îles boisées et ses cabins sur le fleuve Saint Laurent
le lac Ontario
Au moment où le soleil passe sous l’horizon
ma diffusion de Mie pleine de moucherons
le vol rasant d’un couple de colverts
je suis sur une table de bois
à rédiger un proceeding sur mon écran
notre rocher, la tente plantée en surplomb des reflets
dans le caquetis des eaux et des oies

Wellesley Island State Park, juin 2024

Nanjing — dimanche

Il fait chaud et humide, trente degrés en mai. J’ai envie de me jeter sur toute la nourriture étalée dans les rues. En haut des murailles, le silence et l’irréalité, cette juxtaposition de tuiles ondulées comme la mer – la vieille ville – et l’acier bleu des gratte-ciels, les montagnes en explosion de verdure tracent une ligne fourbe à l’horizon. Je m’attendais à des odeurs, du bruit et de la saleté. Mais tout est propre, les véhicules électriques ont éteint les grossièretés sonores, il ne reste plus que le brouhaha humain qui se perd dans l’espace. Je comprends peu au dédale géographique, à l’Histoire millénaire de la ville, aux colorations confucéennes des âmes. Une rivière verte serpente entre les façades blanches reconstituées. Je déniche un petit café bobo et m’y pose avec mes pages imprimées et un stylo.

Nanjing, mai 2024
Nanjing, mai 2024

Adriatique asiatique

Quadrillage tridimensionnel pour habiller la topographie, de tours et d’avenues droites, dans une verticalité rampante et moderne – quelle différence avec l’Amérique latine. Puis des enfilades d’îles comme des friandises, et des paquebots qui tracent leur bave blanche et courbe, les attroupements de canots touristiques autour de roches paradisiaques transperçant la nappe bleue. Vue du ciel, Hong Kong a des airs d’Adriatique asiatique.

L’Adriatique vue du ciel par Hayao Miyazaki, dans Porco Rosso, 1992

C’est au tour des azalées

Je suis arrivée pleine de nœuds et d’imposture. Je repars nourrie, portée par les connexions et les perspectives. Par les appréciations réciproques de toutes ces belles personnes, la tendresse complice avec O.

Je suis arrivée et les cerisiers brillaient dans leur éclat dentelé. Je repars, les pétales ont chu, mais les buissons vert lustrés se sont parfumés et enguirlandés de bouquets blancs et magenta.

Les azalées prennent le relai du printemps.

Juste avant de prendre l’avion, cet animé en live qui se détache sur le ciel, lors d’un crochet à Hamariku-koen, Tokyo, Avril 2024

Ueno-koen à l’aube [2]

Ballet odorant des camions poubelle
étalant et triant les ordures de la veille
Défigurantes rangées
de barrières en plastique vert
Pour empêcher les cerisiers
de s’échapper
Corbeaux
Rossignols
Le bruit extérieur de la ville
Et des japonaises en vêtements ballants
promenant des shibas à parure rose

Ueno-koen, avril 2024

Bellefonte

J’aime beaucoup Bellefonte, ce coup de cœur de Talleyrand, coquet vestige industrieux tout en briques, aux anciennes cheminées d’usine et aux moulins suspendus sur une rivière gonflée de printemps. L’eau et les rails se faufilent entre les collines appalachiennes, dans des bois aux consonances amérindiennes. Chasse aux œufs pailletés sous le déluge (disons plutôt une session de football américain dans un champ de boue parsemé de boules en plastique, à saisir dans la bousculade et les larmes – mais quel carnage et quelle étrange notion de Pâques), un aller-retour dans une vieille locomotive restaurée par la société des chemins de fer historiques, et pour finir, latte et chocolats chauds dans un café bobo, à lire Feynman, pendant que les garçons travaillent leurs manuels de français. La paix et la merveilleuse compagnie.

The Bellefonte Central Railroad: (gauche) Un train BCRR quitte State College, circa 1910; (droite) Conducteur George R. Parker et son « bateau » à la station BCRR derrière l’ancien Main Engineering Building.

Cavité Fabry-Pérot

Quel vide. Et quelle solitude. Des kilomètres de jours sans vibration, dans le bruit blanc désertique d’un cerveau inanimé et anémié.

LIGO Hanford Observatory : un interféromètre de Michelson en forme de L dont chaque bras mesure 4 km et contient des cavités Fabry-Perot sous « ultravide », dans le but de détecter des ondes gravitationnelles. Dans l’interféromètre, des ondes électromagnétiques (de la lumière) en phase (qui ondulent « en rythme ») sont émises, et séparées en deux faisceaux qui sont ensuite rassemblés. Comme les ondes sont en phase, on devrait observer à la fin de jolies franges d’interférences, i.e., des zones de luminosité alternées, où les plus lumineuses correspondent à des ondulations électromagnétiques qui se sont ajoutées. Si des ondes gravitationnelles perturbent la longueur d’un des bras où passent les faisceaux, le signal lumineux rassemblé sera modifié, portant ainsi la signature d’un événement. Les cavités Fabry-Pérot sont des cavités encadrés de deux miroirs, qui permettent des réflexions supplémentaires des ondes électromagnétiques pour amplifier le signal d’interférence.