Je passe l’été avec Anaïs. Au début doucement, par petits grignotements. Puis avec une frustration de ne pas la dévorer davantage. Enfin cette réalisation : rarement ai-je été aussi modifiée par un livre. Je ne trouve dans son journal rien du personnage de femme fatale sulfureuse dont la postérité l’a affublée. Une femme ultra-moderne simplement, prête au strip-tease de son âme pour la cause littéraire.
Anaïs m’a pénétrée là où personne n’avait été depuis longtemps. Ces semaines à la lire me laissent pleine de son univers, de son temps intemporel, de la quiétude créative de sa maison de Louveciennes. Tout est juste, jusqu’à sa façon de planter la saison, le décor végétal, la nature qui passe, dans un langage d’une perfection douce et intelligente.
Je viens de me tenir à la fenêtre ouverte de ma chambre, et j’ai profondément aspiré l’air parfumé de chèvrefeuille, le soleil, les perce-neige de l’hiver, les crocus du printemps, les primevères, les pigeons roucoulants, les trilles des oiseaux, toute la procession des douces brises et des fraîches senteurs, des couleurs fragiles et du ciel à la texture de pétale, les vieux ceps noueux pareils à des serpents gris, les pousses verticales des jeunes branches, l’odeur humide des vieilles feuilles, du sol détrempé, des racines arrachées, de l’herbe fraîchement coupée, l’hiver, l’été et l’automne; les levers et les couchers de soleil, les tempêtes et les accalmies, le blé et les châtaignes, les framboises sauvages, les roses sauvages, les violettes et les bûches humides, les champs brûlés et les coquelicots.
— Anaïs Nin, Journal (1931-1934),
Trad. Marie-Claire Van der Elst, revue et corrigée par l’auteur.
Anaïs modifie les êtres qui lui sont chers et qu’elle côtoie. Je me disais ainsi : c’est comme si, un siècle plus tard, j’avais moi-même été sous son emprise, son charme, son enchantement – son analyse.
Henry [Miller] dit: « J’ai toujours beaucoup pensé, mais il me manquait un pivot. Et quel était le pivot manquant? C’était, comme vous dites, une compréhension de moi-même. C’est votre vision de moi qui maintient avec force mon unité. Vous rejetez les détails sans importance. Vous ne vous perdez jamais, comme fait June, et vous donnez à mes actes et à mes expériences leur juste mesure. »
Son : Joaquin Nin, Ninon Vallin, 20 cantos populares espanoles: No. 4, Montanesa, 1928-1937
