Les villes asturiennes invisibles

Il vient à l’homme qui chevauche longtemps au travers de terrains sauvages, le désir d’une ville.

— Italo Calvino, Les villes invisibles, 1972

On accède à Cudillero à pied, comme si on l’accostait, elle se révèle dans son coquillage de rochers et de végétation ruisselante, nappée de fumerolles d’air froid, capée d’eucalyptus. Des centaines de petites maisons de pêcheurs empilées sur la falaise et son phare-jouet d’avant-garde. La mer est turquoise et les poteries noires. Le voyageur peut suivre un chat, se perdre dans un dédale de marches, de linges et de façades, et rester prisonnier d’une géométrie non euclidienne, dans une quête où le haut et le bas ne sont plus celles de l’eau et du ciel.

On peut percer Oviedo jusqu’au cœur la nuit ; le sol est lustré aux petites heures à grande eau et quand le vacarme des buveurs de cidre s’est éclairci, l’air se remplit de celui des camion-poubelles. À chaque tournant, une place cuivrée aux lucarnes maquillées d’un trait sombre, qui se mue en scène d’opéra. Dans les nuits d’Oviedo, les vacanciers sommeillant ne savent pas ce qui se trame et se joue, les drames et les psychanalyses criées, chantées et pleurées.

Oviedo encore en fin de journée chaude : sur ses flancs montagnards, on grimpe un chemin de poules et de granges-pilotis. Sur les pierres ocres de l’église Santa Maria de Naranco, le pinceau de lumière arrondi des colonnes sculptées conte une caresse.

Au bout d’une longue route entre les pics herbus de l’Europe, ceux-là même qui bloquent les nuages et font du reste de l’Espagne un désert, le voyageur devient pèlerin religieux ou touriste, et se heurte à la prétention mystique de Covadonga. On y tient office toute la journée dans une grotte ornée perchée, et une cathédrale rose sonne les quarts d’heure comme on frappe des cordes de guitare. Pour retrouver l’humilité et la fraîcheur, il faut descendre tout en bas au ruisseau. Sur les rochers mousseux, la sérénité et l’exaltation baignent les pieds et la nuque, on comprend.

Son : Estrella Morente, Volver, 2006, dans le film éponyme dir. Pedro Almodovar, d’après le tango de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera, 1934

Cudillero, une ville asturienne invisible, août 2025